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Dans le secteur industriel, la numérisation et la mondialisation ne sont pas sans effet sur la collaboration entre l’industrie suisse et les partenaires d’approvisionnement locaux. Quels changements peut-on en attendre ? Et comment réagissent les sous-traitants à l’évolution des besoins de leurs clients ?
C’est dans le cadre d’une table ronde que trois représentants de fournisseurs locaux abordent ce sujet difficile et tentent d’y trouver des réponses. Modérateur : Andreas Bachmann, Directeur des ventes chez Bachofen SA
Andreas Bachmann (AB) : Procédons d’abord à un état des lieux. Où en est le marché et quels sont les défis auxquels nous sommes confrontés en tant que partenaires d’approvisionnement locaux ?
Daniel Langmeier (DL) : Le niveau élevé des coûts est ce qui nous pose problème en Suisse, à nous comme à nos clients. En réaction, les entreprises internationales, principalement, délocalisent leur production à l’étranger.
Bruno Huber (BH) : C’est exact. En tant que sous-traitant, nous devons réussir à couvrir la présence mondiale de nos clients. Qui plus est, le phénomène de mondialisation et numérisation, allié à celui de la dépersonnification, se traduira par une réduction de l’importance du contact humain.
AB : En tant que fournisseurs locaux, quels sont nos atouts et nos opportunités ?
BH : Notre degré élevé de qualification et nos organisations ancrées au niveau local nous permettent de répondre le mieux possible aux besoins importants de la clientèle que sont la proximité, la réactivité et l’orientation sur le service. Notre bonne connaissance des processus d’entreprise de nos clients représente un avantage supplémentaire.
Daniel Bachofen (DB) : Je pense que le fait d’être sur place est un avantage essentiel. Si nous voulons aider un constructeur de machines à innover, développer de nouveaux systèmes et accroître sa productivité, nous devons écouter, comprendre et réfléchir.
BH : À mon avis, les très bonnes conditions-cadres dont nous bénéficions en Suisse sont un avantage important pour nous et pour nos clients. Compte tenu des tendances actuelles, nous devons en rendre soin si nous tenons à ce que la place industrielle suisse conserve son importance.
AB : Mais la numérisation est une mutation incontournable.
BH : Il est évident qu’une transformation est en cours et que la pression qu’elle exerce sur nos clients va augmenter. En tant que partie intégrante de la chaîne de création de valeur, nous devons être à la hauteur de ce développement. À l’avenir, une grande partie de nos processus actuels seront numérisés.
DL : Mais dans le cas de projets ambitieux, la numérisation se heurte à des limites. Pour l’instant, un ordinateur est incapable d’analyser un problème complexe et de recommander une solution appropriée.
DB : Il faut également tenir compte du fait que le secteur industriel, notamment en Suisse, est extrêmement développé. Pour les entreprises prospères opérant sur un marché de niche, cela constitue un énorme avantage. Ces entreprises développent des produits de pointe et nécessitent pour cela le savoir-faire des fournisseurs locaux. Les échanges que cela demande ne peuvent pas être numérisés. Et fonctionnent uniquement localement.
AB : En d’autres termes, plus la machine est complexe, plus les sous-traitants doivent être proches. Une question provocante : ne serait-ce pas plus simple si les clients de Suisse alémanique s’approvisionnaient en Allemagne, ceux de Suisse romande en France et ceux du Tessin en Italie ?
DL : Je fais objection. Une collaboration fructueuse demande la compréhension de la culture locale ainsi qu’une base de valeurs communes. Le niveau de compétence technique doit également coïncider. En Suisse, ce niveau est extrêmement élevé.
AB : La proximité géographique reste donc importante.
DL : Les technologies numériques doivent intervenir dans les domaines où une solution numérique est possible. Mais je persiste à penser que la proximité physique entre clients et fournisseurs est irremplaçable pour les questions de plus grande complexité. Cette relation est une question de confiance. Le client veut être certain d’avoir le bon partenaire à ses côtés. Pour cela, le contact personnel est indispensable.
BH : Même si l’essor de la numérisation va entraîner une diminution des consultations personnelles sur site.
AB : Les enfants du numérique qui seront les clients de demain recherchent-ils le contact personnel et en ont-ils besoin ?
DB : C’est précisément parce que les interactions numériques augmentent que le contact personnel devient plus important. De nos jours, la recherche d’informations a lieu en ligne, ce qui est tout à fait justifié. Mais lorsqu’il s’agit de prendre une décision et de résoudre un problème, il est très difficile de remplacer l’être humain.
BH : Il en est ainsi aujourd’hui. Mais je doute qu’il en soit de même dans 15 ou 20 ans. Je suis persuadé que, dans le futur, le déroulement des processus d’approvisionnement sera entièrement différent. Davantage numérisé et moins dépendant du site d’implantation.
DB : Encore une fois, je pense qu’il faut faire une distinction. Cela est certainement vrai pour les opérations de transaction. Mais il en va tout autrement des services de conseil, de la transmission de connaissances et des prestations de service.
AB : Cela nous amène au rôle que devront jouer nos représentants commerciaux dans ce nouveau contexte …
DL : Aujourd’hui, on constate trop d’informations et trop peu de connaissances spécifiques. Comment voulez-vous que, face à cette multitude d’informations, le client trouve le produit qui lui convient ? À quoi lui sert-il d’acheter un composant à moitié prix à Singapour s’il s’avère ensuite que ce n’est pas le bon ? C’est là que la compétence du représentant commercial entre en jeu.
BH : De vendeur, il devient consultant. Il est le gestionnaire de connaissances parfaitement familiarisé avec les processus du client et l’accompagne par ses conseils sur la voie du succès.
DL : Exactement. Le représentant commercial doit être conscient des avantages qu’il peut offrir au client, à savoir un renforcement de sa compétitivité et une réduction de ses coûts. Il y parvient en lui proposant la solution sur mesure parfaitement adaptée à ses attentes.
BH : Nous devons quand même nous demander si la communication personnelle gardera vraiment la même importance pour les générations futures. Personnellement, je suis plutôt sceptique.
DB : Je suis certain, moi aussi, qu’on assistera à une évolution au bénéfice de la numérisation. Mais c’est précisément la raison pour laquelle, à mon avis, les entretiens en face à face sont d’autant plus nécessaires. Les personnes achètent à des personnes, à des personnes qu’elles apprécient.
AB : Dans un contexte international, quel est le rôle des aspects culturels locaux ?
DL : Nous opérons sur le marché de l’approvisionnement suisse, un marché dans lequel les qualités typiquement suisses telles la fiabilité, l’expertise et l’implication personnelle sont encore très appréciées. Ce sont également les atouts qui font le succès des entreprises industrielles suisses.
DB : … et auxquels elles se fient dans leurs activités internationales avec le sceau du label de qualité Made in Switzerland.
BH : Mais nos clients doivent être à leur tour capables de vendre sur leurs marchés la plus-value que nous leur apportons en tant que fournisseur suisse. Ce n’est qu’ainsi que ce principe peut fonctionner.
AB : Portons notre regard vers l’avenir. Dans le futur, quelles sont les qualifications que l’on attendra des fournisseurs suisses ?
BH : Il est possible que nos entreprises industrielles délocalisent de plus en plus leurs centres de recherche et développement dans d’autres régions du monde, c’est-à-dire à proximité de leurs sites de production. En tant que fournisseurs, nous devrons alors réaliser nos prestations également au-delà de nos frontières, dans d’autres pays du monde.
DB : C’est possible. Mais il s’agit d’un processus continu et non d’une transformation disruptive. La question décisive reste celle de l’évolution de nos clients. Personnellement, je crois en la force d’innovation de la place industrielle suisse. Nous devons absolument la conserver. Cela concerne nos clients, mais aussi et à plus forte raison nous-mêmes en tant que fournisseurs.
La table ronde s’est déroulée le 7 mars 2019 au siège de Bachofen AG à Uster.
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